Au Québec, les animaux de compagnie sont omniprésents. En 2023, on comptait environ 2,2 millions de chats et 1,2 million de chiens dans les foyers québécois (Association des médecins vétérinaires du Québec en pratique des petits animaux, 2023). Ces compagnons poilus ne sont pas de simples animaux puisque pour beaucoup, ils sont considérés comme des membres de la famille (Carlisle-Frank & Frank, 2006). Leur présence quotidienne, leur affection inconditionnelle et les liens tissés avec eux rendent leur perte extrêmement douloureuse. Pourtant, ce type de deuil est souvent mal reconnu, voire incompris, autant par la société que par l’entourage immédiat des personnes endeuillées (Hewson, 2014; Mariano, 2024; Sable, 2013; Sharkin & Knox, 2003).
Un chagrin bien réel… et pourtant minimisé
Il est socialement accepté de pleurer un proche humain, d’organiser des funérailles, de recevoir des condoléances. Mais lorsqu’il s’agit de la mort d’un animal, les réactions de tristesse sont fréquemment banalisées. Plusieurs personnes endeuillées sont souvent incomprises et peuvent recevoir des commentaires, tels « C’est juste un chat ou un chien! », ou encore « Achète-toi en un autre. » (Quackenbush & Glickman, 1984). Ces propos peuvent renforcer la douleur ressentie, en plus de faire naître un sentiment de honte ou de gêne à vivre ce deuil pleinement (Sharkin & Knox, 2003).
Pourtant, la littérature scientifique sous-tend que la perte d’un animal de compagnie peut entraîner un chagrin profond, comparable à celui vécu lors du décès d’un être humain (Field et al., 2009; Mariano, 2024). Les personnes affectées peuvent présenter les mêmes symptômes émotionnels, physiques et psychologiques (p. ex., tristesse intense, pleurs fréquents, insomnie, perte d’appétit, isolement social et même culpabilité, surtout lorsque l’euthanasie est impliquée; Dawson, 2010; Podrazik et al., 2000; Quackenbush, 1984; Rosenberg, 1984).
Le rôle central de l’attachement
La nature du lien entre l’humain et son animal joue un rôle déterminant pour comprendre l’intensité du deuil (Field et al., 2009). Les animaux offrent souvent un lien d’attachement émotionnel ainsi qu’un sentiment de sécurité et de bien-être à leur propriétaire (Field et al., 2009; Sharkin & Knox, 2003). Cette présence peut devenir centrale dans la vie de certaines personnes, notamment les personnes âgées, les personnes vivant seules ou les couples sans enfant (Field et al., 2009; Nieburg & Fischer, 1996; Podrazik et al., 2000). Chez ces individus, l’animal comble un besoin d’attachement, parfois aussi fort que celui vécu avec un humain.
Plus le lien d’attachement est fort, plus le deuil peut être difficile. Des études montrent que des niveaux élevés d’attachement à l’animal sont associés à une tristesse accrue et à une détresse psychologique importante après la perte (Barnard-Nguyen et al., 2016; Field et al., 2009).
Des circonstances aggravantes
Le contexte entourant le décès de l’animal de compagnie peut également rendent le deuil encore plus difficile. Certaines circonstances telles une mort soudaine, un accident ou la nécessité de procéder à une euthanasie peuvent créer un choc ou une culpabilité importante chez la personne endeuillée (Hewson, 2014). Ainsi, devoir choisir de mettre fin à la vie d’un être aimé, même pour mettre fin à ses souffrances, peut engendrer un profond sentiment de responsabilité, parfois perçu comme une trahison envers l’animal (Dawson, 2010). Ce qu’on appelle le « deuil de responsabilité » touche particulièrement les personnes très attachées à leur animal.
À cela s’ajoute le manque de rituels. Lorsqu’un humain décède, il est possible de lui rendre hommage grâce à des funérailles, ce qui permet aux proches de célébrer la vie de la personne décédée, de publiquement valider leur perte, de partager leur peine, de recevoir du soutient et ainsi de faciliter leur processus de deuil (Rennard et al., 2019). En revanche, pour les animaux, de tels rituels sont rares, voire absents. Cela peut priver la personne endeuillée d’un moment clé pour faire son deuil (Rennard et al., 2019).
Une souffrance privée, un soutien limité
Ce qui rend le deuil d’un animal de compagnie particulièrement complexe, c’est le peu de reconnaissance qu’il reçoit. Nombreuses sont les personnes qui se sentent obligées de cacher leur chagrin, de peur d’être jugées ou incomprises (Turner, 2003). Cette souffrance silencieuse peut mener à un deuil compliqué, c’est-à-dire un deuil qui s’étire dans le temps et nuit au fonctionnement quotidien (Casarett et al., 2001; Podrazik et al., 2000; Turner, 2003; Worden, 2018).
La présence d’un professionnel empathique et informé peut alors faire une grande différence. Les intervenants en santé mentale sont invités à offrir un espace sécuritaire, sans jugement, pour permettre à la personne endeuillée de nommer ses émotions, raconter ses souvenirs et poser ses questions (Lavorgna & Hutton, 2019; Mariano, 2024; Podrazik et al., 2000; Sharkin & Knox, 2003; Turner, 2003). Des gestes simples comme écouter avec compassion, normaliser les réactions ou proposer un rituel d’adieu peuvent grandement aider (Turner, 2003).
Maintenir un lien symbolique
Un élément réconfortant pour plusieurs personnes endeuillées est la possibilité de maintenir un lien symbolique avec l’animal disparu (Packman et al., 2011). Il peut s’agir de conserver une photo, de parler à l’animal en pensée, de visiter l’endroit où il aimait aller, d’écrire un texte en son honneur, ou de conserver l’empreinte d’une des pattes de l’animal (Packman et al., 2011; Rennard et al., 2019). Ces gestes permettent de transformer le chagrin en souvenir, d’adoucir la douleur, et de continuer à ressentir la présence de l’animal autrement (Packman et al., 2011).
Les études montrent que ce type de lien, appelé « lien d’attachement continu », est bénéfique. Il contribue à diminuer la détresse et favorise un ajustement plus sain à la perte (Lykins et al., 2024; Packman et al., 2011).
Pour une meilleure reconnaissance du deuil animalier
Reconnaître que le deuil d’un animal est un deuil véritable est un premier pas vers une meilleure compréhension collective. Ce n’est pas une question de hiérarchie entre les pertes, mais de reconnaître que chaque être aimé, qu’il soit humain ou animal, peut laisser un vide immense. Les réactions au deuil dépendent moins de l’espèce de l’être perdu que de la nature de la relation qu’on entretenait avec lui.
Il est donc essentiel de sensibiliser la population, les milieux de travail, les écoles et les professionnels de la santé à cette réalité. Ainsi, offrir du soutien, éviter les jugements hâtifs, proposer des ressources adaptées sont des actions simples qui peuvent faire une énorme différence pour quelqu’un qui vient de perdre son compagnon de vie.
Références
Association des médecins vétérinaires du Québec en pratique des petits animaux. (2023). La popularité des chats et des chiens ne fléchit pas au Québec 2023 https://www.amvq.quebec/fr/nouvelles/la-popularite-des-chats-et-des-chiens-ne-flechit-pas-au-quebec-2023
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