Par Alexandre Marseille, Doctorant en psychologie
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Réglons une chose en partant. Si quelque chose est important pour toi et digne de ton intérêt, c’est tout à fait normal que ça te stresse. Tu joues gros. C’est que ça t’est vrai, même intime. Tu retrouves au dehors une partie de l’intérieur de toi qui n’est plus à l’abris des regards, et surtout pas du tien!
En fait, c’est probablement le contraire qui serait inquiétant, peu importe qu’il s’agisse de réussir dans le sport ou l’art de ton choix, de travailler dans ton domaine, d’être le partenaire et/ou le parent que tu aimerais être, ou toute autre avenue susceptible de construire du sens pour ton existence.
Il est difficile de s’engager envers ce qui est important pour nous et de faire face aux angoisses soulevées, dans la crainte que la réalité ne puisse nous refléter l’étendue de nos désirs. Mais certains d’entre nous y parviennent avec brio et contrairement à ce que l’on peut s’imaginer, il ne s’agit pas de surhommes ou de machines insensibles aux doutes et remises en question des moindres mortels. Ce qui semble changer, c’est la relation qu’ils entretiennent avec leurs difficultés et appréhensions.
En ce sens, nous pouvons apprendre de la manière dont certains des plus grands athlètes et artistes de notre époque s’engagent envers leur vocation et tenter d’en tirer quelques idées utiles pour mieux gérer notre anxiété au quotidien. Pour ce faire, j’aimerais vous partager certains apprentissages acquis d’un domaine de performance que je suis encore bien loin de maîtriser, mais qui me passionne et me permet d’apprécier la psychologie derrière la performance et le dépassement de soi.
Le golf est un sport nous offrant une opportunité unique d’en apprendre sur les paradoxes de la vie et de la performance en général. Contrairement à d’autres activités plus dynamiques et flow1, on a davantage d’occasions et de temps pour se mettre dans le chemin de nos aspirations… Un peu comme dans la vie que nous menons au quotidien.
‹‹ Le golf est le jeu le plus près du jeu que nous appelons la vie. On souffre de mauvais bonds après des bons coups; on jouit de bons bonds après des mauvais coups, mais, peu importe, vous devez jouer la balle là où elle repose ›› Traduction libre, Bobby Jones.
Confiance et zone proximale de développement
L’estime personnelle de chacun est démontrée comme étant étroitement liée à une multitude de variables, dont l’une des plus importantes étant le sentiment d’auto-efficacité, soit le jugement qu’a une personne de sa compétence et de sa valeur personnelle associée à diverses situations.
Plus je me sens compétent dans la connaissance et la maitrise de choses qui sont importantes pour moi au quotidien, plus ces mêmes choses me deviennent acquis et automatiques et moins elles me coûtent chers en énergie et attention, tout en étayant mon estime personnelle. Ainsi, plus il me reste d’attention et d’énergie pour ce qui est nouveau, ce qu’il me reste à apprendre et maitriser. J’suis alors davantage en mesure d’être curieux et de jouir d’entreprendre de nouvelles activités sans trop d’attentes. J’ai moins l’impression de perdre la face si je ne suis pas bon et ressent plus de plaisir à simplement étendre le territoire de mon développement.
Pour avoir accès au plaisir d’apprendre un nouveau sport (et particulièrement le golf!), je dois être en mesure de supporter et accepter ma médiocrité, tout en prenant plaisir à mon progrès, aussi modeste soit-il. Les premières fois que je frapperai des balles au champ de pratique, peut-être réussirai-je un bon contact sur dix. Ma première partie sur le terrain, à me rendre au trou dans un temps raisonnable qu’une seule fois dans ma ronde. J’ai alors le choix de célébrer ces petites victoires et de réaliser mon amélioration, ou bien de me comparer défavorablement à la performance de quelqu’un d’autre qui a su accepter sa médiocrité suffisamment longtemps pour en arriver là.
Avant la performance : l’importance du rituel et de l’illusion du contrôle
Du bambin à l’athlète professionnel, les routines et rituels sont importants afin de grandir, maitriser, et ultimement performer. L’avant-performance peut donc se résumer à deux étapes : la planification et la ritualisation.
D’abord, la planification comme activité intérieure de l’esprit, de la pensée. C’est le temps nécessaire pour rêver, se préparer, et pratiquer. Pour réfléchir aux objectifs à long, moyen et court termes nous rapprochant du but visé. Tout comme pour le golf, je pars du trou (objectif ultime) en revenant vers mon coup de départ (objectif à court-terme). Je visualise de manière aussi réaliste et concrète que possible les étapes à accomplir. Comment décomposer ces étapes en évènements plus simples et plus près de ce qui m’est connu? Quels facteurs dois-je prendre en compte lors de ces évènements pour qu’ils me rapprochent de mes objectifs?
Sur le tertre de départ, je pense à l’endroit où j’aimerais que cette balle repose afin de faciliter mon prochain coup. Quels dangers potentiels dois-je à tout prix éviter? Comment le vent affectera-t-il la trajectoire? Quel bâton et quel type de coup dois-je frapper pour maximiser les chances de réussite?
Ensuite, la ritualisation permet d’inscrire la planification dans le corps, dans la réalité. J’ai pris le temps d’analyser les différents paramètres pertinents et je sais maintenant ce que je veux faire. Plus je suis confiant que je réussirai à créer la réalité que je viens de m’imaginer, plus fortes sont les probabilités que je la produise réellement. Pour me sentir confiant, je fais en sorte que l’évènement unique et original qui je suis sur le point de produire soit le plus près possible de ce qui m’est connu et maitrisé. Les rituels et superstitions dans le sport professionnel en sont le meilleur exemple et permettent de se sentir en contrôle devant l’inconnu.
Je me place derrière la balle et je procède à mon rituel d’avant-coup, comme je l’ai fait des milliers de fois auparavant. Je choisi une cible et visualise le coup que je m’apprête à réussir avec le plus de détails possibles : je me vois effectuer et sentir mon élan avec rythme et équilibre, entendre le son de la balle qui frappe la face de mon bâton et coupe l’air devant moi, la trajectoire et l’atterrissage qui la portent vers la cible voulue. Je prends deux ou trois élans de pratique pour sentir dans mon corps le coup que je m’apprête à effectuer. Une fois senti et en confiance, j’adresse ma balle de la même façon que je le faits pour tout autre coup. Ainsi, je prends soin de me sentir en territoire connu devant cet événement futur inconnu, gardant le plus possible de mon énergie et attention pour la prochaine et plus importante étape.
Pendant : lâcher prise et conscience du moment présent
Maintenant que je suis aussi confiant qu’il m’est possible de l’être avant de produire l’événement désiré, le moment est venu de lâcher prise… Hein? Ce n’est pas un peu contradictoire vite de-même?
Mon travail et ma préparation pour ce moment sont faits et derrières moi. Je dois accepter que je n’ai aucun contrôle sur le résultat que je suis sur le point de produire, bien que je suis confiant que toute la préparation se retrouve quelque part en moi et que je saurai l’utiliser intuitivement.
Ça me permet de centrer mon attention sur le moment présent, sur ce que je peux sentir avec mes 5 sens dans l’ici et maintenant. Je veux que l’entièreté de mon énergie soit disponible pour la performance que je suis sur le point d’accomplir. Faire confiance et jouer, tout simplement. Si, au contraire, mon attention demeure interne et au service de mon besoin de me sentir pleinement en contrôle, je me combats moi-même et nuirai à ma performance.
Mais comment faire lorsque l’anxiété est telle qu’elle m’emprisonne dans mes pensées?
J’ai fait toutes les étapes comme il le fallait et je suis présentement au-dessus de la balle, sur le point de réaliser mon élan. Tout à coup, je suis saisi d’anxiété et réalise l’importance du moment : « et si je manque ce coup et ai l’air ridicule, que je bousille tout mes efforts réussis jusqu’ici, que tout le monde peut voir à quel point je suis stressé et que je ne suis pas à ma place. »
Comment échapper à ce cercle vicieux qui ne fera que nuire à ma performance? Premièrement, j’en prends conscience. Je réalise que mon attention est présentement interne. Deuxièmement, je me permets de prendre un pas de recul (mentalement et même physiquement si possible). Troisièmement, je me recentre dans le moment présent en m’appuyant sur ce qui m’est connu et tente d’investir mes 5 sens au maximum.
Je prends conscience de mon emprisonnement, cesse mes activités et recule de quelques pas. Je repasse du début les étapes de ma routine avant d’adresser la balle à nouveau. Je tente à nouveau de maintenir mon attention sur le moment présent autant qu’il m’est possible de le faire. Je me sens nerveux et accueille les sensations physiques, pensées, et émotions qui s’imposent à moi (battement cardiaque et respiration accélérés, gorge serrée, etc.), sans tenter de les contrôler. J’expire et me secoue, comme pour libérer la tension dans mon corps. Je vois la balle à mes pieds et l’endroit où je veux l’envoyer. J’entends et sens la nature qui m’entoure. Je m’élance.
Après coup : miser sur le processus plutôt que le leurre de la pensée tout ou rien
Après l’événement ou la performance, il est tentant de l’évaluer de manière absolue et en posant un jugement de valeur : la performance a-t-elle été bonne ou mauvaise, à la hauteur ou non. D’un côté, il importe de prendre en compte le reflet de la réalité concernant notre performance afin d’apporter les ajustements qui s’imposent. D’un autre, certains peuvent être particulièrement sévères envers eux-mêmes en cas « d’échec », perdant de vue qu’ils basent leur sentiment de compétence sur une variable qu’ils ne contrôlent que partiellement. Ils peuvent alors négliger les aspects positifs qu’ils ont réussis, des acquis susceptibles d’aider à se sentir plus en confiance lors d’une performance ultérieure. S’ils répètent constamment cette manière de fonctionner, peut-être même se décourageront-ils et cesseront d’avancer vers leurs rêves.
Une autre manière de faire le point sur sa performance est de mettre l’emphase sur l’aspect contrôlé par l’individu : le processus. Que la performance soit une « réussite » ou non, elle s’appuie sur un processus sur lequel nous avons entièrement le contrôle, soit notre capacité à mettre en place les conditions optimales pour performer.
Mieux je travaille à me préparer en vue d’une performance, plus je serai à même d’être confiant et de lâcher prise lors de celle-ci, meilleures sont mes chances d’inscrire mes rêves et ambitions dans la réalité. Je peux alors m’appuyer sur ce qui est connu et maitrisé et m’en servir comme base sécure nécessaire pour m’aventurer dans ce qui est moins connu et qui fait peur.
La balle est partie un peu plus haute que ce que je voulais et elle glisse légèrement vers la gauche (-), manquant de peu l’allée (-). Ce n’est pas optimal, mais j’ai réussi à éviter la trappe de sable environ 15 verges plus loin à gauche grâce à ma sélection de bâton (+) et mon alignement de départ (+) (sachant par expérience que j’ai tendance à manquer à gauche, je visais complètement à droite de l’allée). Je finis mon élan en équilibre (+), mais j’ai l’impression de l’avoir précipité (-), sans doute parce que j’étais particulièrement nerveux. Somme tout, je suis bien placé pour mon prochain coup et j’en retiens que juste avant mon prochain coup (pas pendant !!) j’aurai une petite pensée pour le rythme de mon élan, me rappeler de lâcher prise et d’y aller plus naturellement.
Au-delà du résultat, ce que je retiens par-dessus tout est que j’ai réussi à appliquer la recette qui favorisera ma performance à long terme :
Je me suis préparé pour ce coup, j’ai effectué mon rituel, j’ai consacré le maximum de mes capacités attentionnels pendant la frappe, et j’ai pris le temps d’analyser le résultat en mettant l’accent sur les processus par après. J’ai tout mis en œuvre pour réussir et je m’en félicite. Je me rends à la balle là où elle repose, peu importe où elle repose, avec le sentiment du devoir accompli.
Le paradoxe de la performance
J’ai choisi d’illustrer mes propos avec mon expérience au golf, mais il s’agit d’un processus pouvant s’appliquer à tout type de performance. Le professeur a bien plus de chances d’être captivant si son attention est centrée sur les besoins de ses étudiants et qu’il est préparé à y répondre, que s’il est obsédé par l’image qu’il projette. Le thérapeute plus disponible et à l’écoute s’il est suffisamment confiant en ses connaissances pour ne pas avoir à les placer entre lui et son client. La mère suffisamment bonne si elle accepte de ne pouvoir être toujours idéale.
La performance a quelque chose d’un piège chinois. Plus on tente de la forcer et de l’étreindre, plus elle nous fuit et nous frustre. C’est en faisant mes devoirs, puis en lâchant prise et en me permettant de faire des erreurs que je réussis à m’en approcher.